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Comment le GIEC se décline dans les territoires

Les GIEC locaux permettent d'identifier les vulnérabilités d'un territoire au changement climatique -Photo George Desipris-Pexels

Après une première vague il y a près de 10 ans, les démarches locales se multiplient, le plus souvent à l’initiative des régions.

Un GREC francilien s’est constitué début janvier. Ce groupe régional d’études sur les changements climatiques et la transition écologique a été créé à l’initiative de l’Institut Pierre-Simon Laplace (IPSL), centre de recherches en sciences du climat, et de l’Institut de la transition environnementale Sorbonne Université (SU-ITE). Avec pour objectifs de synthétiser les connaissances scientifiques sur les changements environnementaux à l’échelle de la région et de nourrir les décisions politiques d’atténuation et d’adaptation aux impacts environnementaux, sociaux et économiques qui en découleront.

La région capitale n’est pas la première en France à avoir décliné à l’échelle d’un territoire la démarche du GIEC. Ce groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat créé en 1988 fournit des évaluations détaillées de l’état des connaissances scientifiques, techniques et socio-économiques sur les changements climatiques, leurs causes, leurs répercussions potentielles et les stratégies de parade.

Sous des appellations diverses, on compte déjà plusieurs initiatives françaises. En plus de la pionnière AcclimaTerra, née dès 2011 à l’initiative de l’ancienne région Aquitaine, existent également le GREC-Sud  en Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Ouranos-AuRA en Auvergne-Rhône-Alpes, RECO en Occitanie ou encore Synergîle en Guadeloupe. D’autres territoires se sont lancés plus récemment. En Normandie, la Métropole de Rouen a ouvert le bal dès 2018, suivie par la Région en 2020. Outre l’initiative francilienne, la maire de Paris a évoqué en décembre un prochain « GIEC Paris ». Après avoir envisagé une démarche commune avec la Bretagne, les Pays de la Loire ont finalement donné le coup d’envoi du leur à l’automne dernier. Sous influence…québécoise.

« Après analyse des initiatives menées dans le monde, en Europe et en France, la démarche d’Ouranos Québec nous a paru la plus pertinente, car c’est celle qui mêle le mieux science et société civile », affirme Antoine Charlot, directeur du Comité 21 Grand Ouest qui assure la coordination du GIEC Pays de la Loire.

Nourrir les politiques locales d’atténuation et d’adaptation

Quels que soient leurs appellations, leurs points de départ et leur portage politique et scientifique, les motivations des différentes initiatives se recoupent : donner à voir aux acteurs du territoire la réalité du changement climatique actuel et futur, réaliser des cartographies de vulnérabilité et nourrir les politiques locales d’atténuation et d’adaptation.

« Le GIEC permet de ramener de la science dans la décision politique et faire en sorte que les acteurs du territoire s’approprient le travail des scientifiques, rappelle Antoine Charlot. Un point d’autant plus essentiel qu’une collectivité n’est responsable que de 10% des émissions de son territoire, le reste étant le fait des citoyens et des acteurs économiques. » Comme à l’international, le comité scientifique – en général composé d’universitaires de la région auxquels peuvent s’ajouter d’autres experts selon les spécificités du territoire – a en effet pour mission d’interpeler les élus et d’être force de proposition. D’où la nécessité de convaincre le politique de l’utilité d’un tel aiguillon.

Première étape : identifier, traiter et synthétiser les données existantes pour le territoire concerné. Mais aussi des données manquantes nécessaires à l’établissement de scénarios d’atténuation et d’adaptation. Par exemple, en Normandie, celles concernant le bassin armoricain de la Seine. Vient ensuite le choix des thèmes suivis. Au-delà des sujets clés directement liés au climat ou à la ressource en eau, ils varient d’un territoire à l’autre en fonction de ses activités, sa topographie, son dynamisme économique… Par exemple, pour le GIEC normand : qualité de l’air, biodiversité marine et terrestre, pêche et conchyliculture, systèmes côtiers, santé…

L’impact économique, un enjeu mobilisateur

Outre les zones géographiques les plus à risque, il s’agit d’identifier les secteurs auxquels s’atteler en priorité, les plus impactants comme les plus vulnérables.

« Le GIEC international, ça reste lointain et un peu abstrait, mais les données montrent que le changement climatique est déjà une réalité sur le territoire », témoigne Benoît Laignel. Ce professeur de l’Université de Rouen, membre du GIEC international, préside celui de la Métropole de Rouen et co-préside le GIEC normand. Entre autres enseignements, citoyens, industriels et élus ont réalisé que les projections aboutissaient à des situations très contrastées entre les villes, le bocage et le littoral, qu’il s’agisse des hausses de températures anticipées ou des risques d’inondation. « Les élus ont rarement la notion du multirisque ou de la concomitance », ajoute Benoît Laignel, évoquant un risque d’inondation sur le littoral dû à la fois aux crues, aux tempêtes et à l’élévation du niveau de la mer.

Dans les terres, même en cas de crues modérées, les sites Seveso pourraient se trouver sous l’eau, avec des conséquences économiques désastreuses pour toute la Vallée de la Seine.

Cet impact du changement climatique sur l’activité économique intéresse naturellement les élus et les entreprises du territoire. Dans les Pays de la Loire, Fleury Michon, fleuron agro-alimentaire de la région, pourrait voir son activité particulièrement affectée. Les sites des chantiers navals ou d’Airbus sont également menacés par la montée des eaux.

Aléas politiques

De profondes différences entre villes et zones rurales, zones littorales et bocage, territoires vieillissants ou à forte dynamique démographique, rendraient pertinents des GIEC infra-régionaux. A l’inverse, certains territoires présentent des similitudes par-delà leurs frontières administratives, comme la Bretagne et les Pays de Loire « de Saint-Malo à La Rochelle et de Saint-Nazaire à Orléans, avec deux activités prédominantes, l’agriculture et le tourisme », relève Antoine Charlot.

Mais c’est le plus souvent à l’échelle de la région que les initiatives se mettent en place. Les prochaines élections régionales favorisent sans doute la nouvelle vague actuelle. Les premiers GREC ont vu le jour avant la réforme de 2015, qui leur a parfois été fatale en raison d’un changement de couleur politique.  Comme pour CERCLE, né dans le Nord-Pas-de-Calais absorbé par les Hauts-de-France. Parfois aussi, des élus de bords opposés semblent poursuivre le même objectif, comme le socialiste Nicolas Mayer Rossignol à la tête de  la Métropole de Rouen et le centriste Hervé Morin qui préside la région.

AcclimaTerra , lancée par le président de l’ancienne Aquitaine Alain Rousset et le climatologue Hervé Le Treut, s’est élargie à toute la Nouvelle-Aquitaine, enrôlant des chercheurs des universités de Poitiers, Limoges ou La Rochelle. « De nouvelles thématiques se sont ajoutées au fur et à mesure », témoigne Yohana Cabaret, l’une des deux salariées permanentes de ce GIEC pérennisé, qui dans le cadre de la sensibilisation des publics, publie notamment des cahiers thématiques. Complétée par Ecobiose, un travail similaire sur la biodiversité, la démarche a débouché Complétée par Ecobiose, un travail similaire sur la biodiversité, la démarche a débouché sur une feuille de route baptisée Neo Terra, adoptée par les élus de la région en 2019, qui vise à accompagner l’effort de transition de la région en termes énergétique, écologique et agricole à l’horizon 2030.

A l’échelle nationale, la multiplication des travaux en cours pose une question de fonds. « L’accord de Paris peut-il réellement se territorialiser, ou certains territoires sont-ils destinés à devenir des puits de carbone susceptibles de compenser les émissions de régions marquées par un fort dynamisme démographique et économique ? » s’interroge Antoine Charlot.