Le débat sur la sobriété des territoires prend corps
Comment favoriser une moindre consommation de ressources dans les territoires, alors que la population progresse ? Le défi est de taille, mais les idées ne manquent pas.
Alors que l’Etat vient de lancer un appel à projet pour des territoires sobres, le débat s’anime sur les façons de procéder. Le sujet a été largement évoqué lors d’un colloque du Plan urbanisme construction architecture les 21 et 22 janvier. La crise sanitaire a aussi accéléré la prise de conscience. Circonscrire la consommation des ressources à un espace restreint est à la fois une question de sécurité et d’empreinte environnementale.
Une notion qui mérite clarification. « L’internationalisation de l’empreinte urbaine est la cause de nos problèmes » expose Gilles Billen, professeur à l’université Pierre et Marie Curie. Jusqu’aux Trente Glorieuses, une métropole comme Paris était alimentée par un territoire concentrique tracé autour d’elle. Mais relocaliser la production serait possible en imaginant un autre fonctionnement, assure l’universitaire. Dont, notamment, des protéines végétales pour les deux-tiers de la consommation plutôt qu’un tiers, et des liens forts entre les producteurs et les consommateurs. Le tout permettrait notamment de préserver de l’eau potable pour 12 millions de consommateurs.
Le bâtiment, 75 % des déchets d’Île- de-France
Mais pour l’architecte Nicola Delon, la première question à se poser à propos des ressources d’un territoire concerne les déchets. En Ile-de-France, les trois-quarts sont dus au bâtiment, contre 15 % pour l’industrie ou les déchets ménagers. Le bâtiment a donc une responsabilité énorme sur l’empreinte environnementale. L’architecte prône également des changements de pratiques et de règlementation. Notamment concernant le foncier non occupé, qui représente des millions de km2. « Avant de recourir à des matériaux sobres en carbone, il faut occuper ces espaces ! » assure-t-il. Règlementer pourrait aussi permettre de rendre le recyclage obligatoire, pour économiser là encore des ressources, dont le plastique par exemple.
Montagne de plastique anxiogène
« Nous sommes à la tête d’une montagne d’énergie et de plastique, ce qui produit de l’anxiété » résume Rob Hopkins. Et certains dans notre société imaginent ce que pourrait être le futur : nous devons descendre de la montagne, et le plus vite possible car une tempête s’approche ! »
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Mais pour le gourou britannique des collectivités locales, la première étape de la sobriété est politique : elle consiste à entraîner les citoyens dans la transition en ayant recours à l’imagination. Or la contrainte parfois radicale imposée par la crise sanitaire est propice à l’imagination. « Les confinements ont vu naître des idées ambitieuses. Barcelone a fermé un tiers de ses rues pour les transformer en aires de jeux. Paris songe à transformer les Champs-Elysées en jardin, et à Nottingham on a détruit un centre commercial pour en faire une forêt » s’enthousiasme-t-il.
Ville en transition plutôt que ville intelligente
Et de citer l’exemple de Liège, et son engagement croissant en faveur de l’alimentation locale. En 4 ans, la ville a lancé 25 coopératives de productions, faisant le pari qu’une ville en transition est plus intéressante qu’une ville intelligente. Une position à laquelle souscrit visiblement Eric Piolle, maire de Grenoble réélu en juin dernier. Pour la ville qui vient d’obtenir le statut de capitale verte européenne, construire un futur désirable est le premier vecteur du changement. C’est ainsi que les ressources environnementales font progressivement leur entrée en politique.
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Nourrir des désirs de sens
« La gestion des communs, l’eau, les matières premières, le foncier et l’énergie représente un champ d’opportunités pour conjuguer des imaginaires et nourrir des désirs de sens » assure l’élu Vert. Un projet qui a motivé la ville à candidater – avec succès – au titre de « Capitale verte européenne ». Dans le but de « développer une fierté de ce qui est fait, alors que la société est en pleine crise de burn-out ». La ville a ainsi crée un club des entreprises autour du projet de ville verte, qui rencontre un certain succès. « A la fois par crainte de se faire corneriser, et par aspiration reconnaît le maire.
S’associer avec les territoires proches
Autre exemple à Toulouse, où un élu en charge du « bien manger » à été nommé lors de la construction d’un Projet d’Alimentation Territorial. Avec comme objectif de favoriser la consommation de produits très locaux, ce qui est aussi plus facile qu’ailleurs : l’Occitanie est le premier producteur d’agriculture biologique en France. « On a changé les menus, pour développer la consommation de veaux sous la mère du Gers par exemple. Les producteurs se sont structurés pour répondre à une importante demande annuelle garantie, et sans aucune subvention » raconte Pierre-Emmanuel Reymund, chargé de mission « prospective » de la ville rose. Dans cette démarche, qu’il qualifie « non pas de «sympathique, mais stratégique », Toulouse a fédéré toute la consommation publique avec les cantines, mais aussi Airbus, soit 100.000 repas collectifs par jour .
Ces exemples illustrent aussi le besoin de récit ancré dans la réalité que manifestent les citoyens, alors qu’ils « choisissent de plus en plus le territoire où ils vivent en fonction d’un vécu » a souligné Barbara Pompili en clôture de l’évènement.