Essayez climatico
gratuitement pendant 1 mois

Le pacte vert européen menacé d’enlisement

20 avril 2021

La cour de Karlsruhe, ou cour constitutionnelle d'Allemagne.

Empêchées par des partis eurosceptiques, l’Allemagne et la Pologne rechignent à donner leur garantie à l’UE pour qu’elle puisse emprunter sur les marchés financiers.

Alors que la Chine récupère avec insolence et que les Etats-Unis comptent investir 1900 milliards de dollars dans leur économie, le pacte vert européen est en passe de s’enliser. La semaine passée, des institutions internationales ont exprimé leur impatience face à la lenteur administrative de l’UE pour débloquer les fonds. « Il est de la plus haute importance que le plan entre en vigueur sans délai », a insisté Luis de Guindos, le vice-président de la Banque Centrale Européenne (BCE) . Plusieurs pays font désormais pression sur Bruxelles pour que les fonds soient débloqués au plus vite. Notamment l’Espagne, le Portugal, la Grèce et la France. « Nous n’avons plus de temps à perdre. Ces investissements doivent au plus vite venir soutenir l’économie réelle », a surenchéri Nadia Calviño, une des vice-présidentes espagnoles.

Des garanties pour emprunter à 27

Reste que depuis l’élan de solidarité historique qui avait fini par l’emporter en juillet 2020 pour adopter ce fameux plan de 750 milliards d’euros (390 milliards en subventions et 360 sous forme de prêts), les obstacles bureaucratiques et institutionnels reprennent le dessus. Dix pays, dont l’Allemagne, la Pologne et la Hongrie, n’ont toujours pas donné leur feu vert au processus de ratification du plan. Un sésame pourtant indispensable à l’UE pour qu’elle puisse emprunter de l’argent, au nom des 27, sur les marchés financiers. Chaque Etat-membre doit en effet donner officiellement son aval, en guise de garantie, afin que l’UE puisse relever le plafond de ses ressources propres. Lequel serait porté de 1,4 à 2% de son revenu national.

Violation de la souveraineté budgétaire

Or, c’est notamment sur ce point que le bât blesse. Sur ce mécanisme de dettes communes. En Allemagne, une fois n’est pas coutume, les juges de la Cour constitutionnelle allemande ont été saisis. Ce qui, depuis le 26 mars dernier, a eu pour effet de bloquer le processus de ratification du plan par Berlin. Alors que les deux chambres du Parlement ont approuvé le texte, il reste en attente d’une décision des juges. Selon les plaignants, membres de l’extrême-droite allemande, l’Afd, le projet ne serait pas en adéquation avec la Loi fondamentale qui interdit au pays de partager le poids de la dette avec d’autres Etats.

Lire aussi : Alerte sur le manque de ressources pour le climat

« C’est la bataille du juge Peter Huber, celui-là même qui s’oppose à la BCE sur les rachats de créances d’Etat. C’est très grave que la cour constitutionnelle censure ce dispositif ! Parce que le besoin d’argent du plan de relance est urgent, et se trouve bloqué », s’inquiète Franziska Brantner, députe verte allemande. Qui craint que ce blocage, s’il n’est pas levé, ne fasse exploser le pacte vert, voire l’Union européenne. Selon elle, si le dispositif prévu, qui permet de lever de la dette pour financer des projets environnementaux, n’est finalement pas adopté, les capacités de financement de l’UE à terme pourraient être sérieusement compromises. « Sans ce nouvel instrument, que fera-t-on dans 5 ans pour financer la suite de la transition, les réseaux d’énergie et de transport transnationaux dont l’UE a sérieusement besoin ? » s’interroge-t-elle.

En Pologne non plus, l’idée d’un endettement commun ne plaît pas à tout le monde. Le 16 avril, Varsovie a dû reporter le processus de ratification jusqu’à début mai, et ce, en raison d’un désaccord au sein de la coalition gouvernementale. « Nous ne voulons pas que la Pologne garantisse le remboursement de crédits accordés à des pays qui ont l’habitude de s’endetter de temps à autre, comme la Grèce et l’Espagne… Nous pensons que la Pologne pourrait elle-même emprunter de l’argent sur le marché pour son plan de redressement national » , a récemment déclaré à ce sujet Sebastian Kaleta, le vice-ministre de la justice polonais.

Lire aussi : Le Pacte vert pourrait susciter des réajustement géopolitiques

Nouvelles sources de financement propres

A Bruxelles, certaines sources espèrent que cet épisode souverainiste n’aura pas d’effet de contagion sur d’autres pays, comme l’Autriche par exemple. D’ailleurs, pour désamorcer ces crispations, les institutions européennes ambitionnent de créer de nouvelles recettes, en plus de la contribution plastique adoptée en janvier. Afin de doter l’UE de recettes propres et d’éviter que les Etats-membres ne soient justement mis à contribution pour le remboursement. « A cette fin, nous envisageons de créer trois nouvelles recettes : la taxe Gafa, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières et les recettes de l’ETS (marché carbone européen) », souligne l’eurodéputée Valérie Hayer (Renew). Qui précise qu’une proposition de la Commission à ce sujet devrait suivre en juin, avant une mise en œuvre en 2023. A son sens, la Cour de Karlsruhe pourrait in fine se positionner en faveur d’une ratification. « Le problème reste le retard que ces obstacles font prendre à l’UE pour qu’elle puisse enfin emprunter ». Une course contre la montre qui ne manque pas d’exaspérer au sein de l’UE, frappée de plein fouet par la pandémie.

Article réalisé en partenariat avec la Fondation Heinrich Böll