« L’entreprise peine à s’emparer des sujets du vivant et de la biodiversité »
La 14ème édition du salon Produrable, qui se tient du 15 au 17 septembre prochain, a pour thème : « 2021- 2030 : le temps de la Régénération ». Sa directrice, Cécile Colonna d’Istria, constate que des verrous subsistent et commente le rôle des différentes parties prenantes pour les faire sauter.
Comment avez-vous choisi cette thématique de la régénération?
C’est plus une perspective que nous souhaitons désigner, dans notre rôle de poisson pilote. En tant que salon du développement durable, nous préférons être en avance sur la réalité, plutôt qu’en retard. Cette thématique reflète donc plus une dynamique qui émerge, notamment au travers de projets pilotes dans l’agriculture ou la viticulture, qu’une situation bien installée.
Régénération du vivant, des produits et services, de l’entreprise, voire de l’économie et de la société dans leur ensemble…laquelle représente le principal défi ?
C’est sur le plan des produits et service que les choses sont le plus avancées. Cela fait des années que les questions du ré-emploi, du recyclage, de l’éco-conception, assorties d’une évolution des modèles économiques, sont sur la table et trouvent de nombreuses applications.
En revanche, deux sujets majeurs demeurent. L’entreprise peine encore à s’emparer des sujets du vivant, de la biodiversité, des écosystèmes. On ne peut pas se contenter de ne parler que du climat. D’abord parce que l’enjeu climat est intimement imbriqué à celui de la biodiversité. Mais surtout, certains aspects de la biodiversité sont complètement indépendants du climat : les déchets, le plastique, les pesticides, les intrants de toutes sortes…On commence tout juste à évoquer ces sujets dans le secteur de la construction. Dès lors que l’on construit, on porte atteinte au vivant.
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Un autre sujet d’importance concerne la gouvernance, le financement, le rôle de l’actionnaire, et pose la question de la mission de l’entreprise. A-t-elle toujours pour objectif de faire toujours plus (de produits, de chiffre d’affaires, de bénéfices…) ? Sa boussole doit-elle rester le seul résultat financier ? Le rôle des actionnaires et des lobbies sont deux verrous à faire sauter. C’est vrai, la finance évolue, mais la finance durable est encore loin d’être mainstream.
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Quel rôle peuvent jouer les PME dans cette régénération que vous appelez de vos vœux ?
Les PME constituent le vrai tissu économique et industriel français. Certaines sont exemplaires, et pourraient d’ailleurs être mises plus en valeur. Mais ce sont encore des exceptions. Il reste difficile de les mobiliser sur le sujet. Leurs dirigeants occupent toutes les fonctions à la fois, ils ont le nez dans le guidon et la voie de progrès (notamment la labellisation, les obligations de reporting, etc) reste trop lourde pour ces petites structures.
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Ils voient bien le poids que cela représente, mais beaucoup moins clairement l’avantage économique qu’ils peuvent en retirer. Malgré tout, on voit apparaître sur le salon de plus en plus de PME, ainsi que des représentants de nouveaux secteurs d’activité.
Les salariés peuvent-ils faire bouger les lignes de l’intérieur ?
En effet on voit se multiplier les mouvements de salariés tels que « les collectifs » qui se mobilisent pour inciter leur employeur à agir. Etudiants, scientifiques, entreprises, citoyens… en ce moment, tous convergent. Mais on constate de nombreux contrastes. Par exemple, contrairement à ce qu’on entend parfois, tous les jeunes ne sont pas écologistes, loin de là.
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Dans l’entreprise, l’acculturation, les plans de formation et de sensibilisation restent l’apanage des grandes structures. Mais à titre individuel, ceux-là mêmes qui pouvaient encore s’y montrer réfractaires il y a deux ans, adhèrent maintenant à la nécessité de changer de modèle.
Beaucoup de solutions « durables » reposent sur le numérique. Peut-on en déduire que le numérique en lui-même est durable ?
On ne peut plus rien faire sans. Il permet parfois de sauver des vies. Ou, plus simplement, de faire des économies grâce aux solutions d’efficacité énergétique, notamment dans le bâtiment. Mais il faudrait absolument éviter la gabegie du tout numérique, de l’appli développée pour tout et pour rien. C’est un désastre non seulement écologique, mais aussi humain et social. On ne peut pas tout faire derrière un écran !