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L’intégration du chauffage au marché du carbone divise

Englober un nouveau secteur pour accélérer les réductions d’émissions de CO2 semble séduisant sur le papier. Au risque de susciter des « Gilets jaune du logement » selon l’eurodéputé Pascal Canfin.

L’idée d’intégrer de nouveaux secteurs au marché du carbone fait son chemin à Bruxelles. Elle est notamment défendue par Diederik Samsom, le chef de cabinet du vice-président de la Commission européenne Frans Timmermans. « Intégrer le chauffage au marché du carbone européen fait partie des idées en discussion », a-t-il récemment assuré lors d’une table-ronde.

En tant que mesure ambitieuse pour le climat, l’idée a plutôt le soutien des Verts et de la gauche, notamment germanique. Elle déplaît en revanche fortement côté français, comme l’exprime Pascal Canfin, président de la commission Environnement du Parlement Européen.

Gilets jaunes du logement

« C’est un sujet socialement très sensible. Ceux qui se chauffent le plus sont à l’est, et se chauffent souvent au fioul ou au charbon. Donc si on met un prix du CO2 à ce secteur, on a un risque social majeur. On  ne veut pas avoir les Gilets Jaunes du chauffage » assure l’eurodéputé, par ailleurs proche de l’Elysée.

Aucune modalité précise n’est encore évoquée, mais il est clair que les propriétaires, comme les locataires et les exploitants, seraient affectés d’une façon ou d’une autre. Et ce avec des conséquences potentiellement très inégalitaires : les plus riches, qui ont déjà pu décarboner leur mode de chauffage en passant aux énergies renouvelables, se trouveraient avantagés. Alors que les ménages plus modestes encore chauffés au fioul ou au gaz subiraient un coût supplémentaire majeur.

Une contrainte uniforme plutôt que nationalisée

Recourir au marché pour transférer la contrainte carbone européenne relève d’une logique bien huilée si l’on se réfère à la théorie économique. Plutôt que d’établir localement des taxes ou autres mécanismes qui risquent d’introduire des distorsions de concurrence, le marché du carbone permet d’imposer un tarif commun à la politique environnementale. Alors que les Etats membres peinent à harmoniser leurs pratiques fiscales, l’outil semble particulièrement pertinent pour contourner les éventuelles divergences.

Mais les experts sont circonspects. « La beauté du marché du carbone, c’est qu’il est européen. Mais il ne faut pas le considérer comme le guichet unique de la politique climat! » prévient Marcus Ferdinand, responsable de la recherche énergie et électricité chez Icis en Allemagne. De fait, la dernière réforme, ainsi que l’ajout du secteur de l’aviation, se sont avérés très longs et complexes. Ajouter le secteur du chauffage, ou celui du transport comme cela est aussi discuté au sein de l’exécutif européen, pourrait peser un risque sur le fonctionnement du marché.

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Un prix du CO2 enfin pertinent

« On a déjà un marché à deux vitesses : il fonctionne très bien pour l’énergie et la production d’électricité, qui ont rapidement réduit leurs émissions. Mais pour l’industrie, les abattements sont beaucoup plus lents » constate Marcus Ferdinand. Introduire un nouveau secteur, dont le coût d’abattement pourrait être inférieur à celui des autres, risque de peser sur le prix de la tonne de CO2, qui a enfin atteint ces derniers mois un niveau suffisant pour inciter des changements de pratiques sérieux.

Côté prix, la tonne de CO2 est en effet dans une phase ascendante. C’est ce qui motive les politiques à se tourner vers le marché du carbone, puisqu’il permet de lever des fonds pour verdir l’économie. Mais ce niveau et fragile. « Le cours de la tonne de CO2 a grimpé très rapidement pour se rapprocher de 40 euros. Il y a un effet de mode, mais aussi un aspect fondamental » explique Emil Dimanchev, chercheur sur les politiques climatiques à l’Institut Norvégien de recherche et technologie (NTNU). Chaque année, 24% des quotas en circulation sont mis au placard dans le cadre de la réserve de stabilité. Si on ne change rien, à partir de 2024 ce ne sera plus que 12% du total. « La réforme en cours sera cruciale pour l’évolution des prix» prévient le spécialiste. La Commission doit présenter une proposition pour la réforme du marché du carbone au sein du paquet climat attendu en début d’été ; elle pourrait, ou non, concerner de nouveaux secteurs comme le chauffage, voire le transport.

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Associer la finance verte au financement de la rénovation ?

Pour Pascal Canfin, la priorité reste de trouver des solutions de financement afin que le secteur de l’immobilier fasse enfin sa mue vers un secteur moins carboné. Le rapport d’Olivier Sichel attendu mi-mars devrait proposer des hypothèses, dont celle d’associer la finance verte de façon plus systématique au secteur immobilier. Des solutions adaptées à la France, qui puissent permettre de rendre la rénovation obligatoire sans prendre de risque politique.

 « Mais il faut travailler main dans la main avec les territoires, et ce n’est pas le fort de la Commission. On ne peut pas raisonner de la même façon en Grèce et en Pologne » assure Pascal Canfin.  Dans un premier temps, des rencontres entre ministres du logement européen pourraient être initiées afin que les priorités de chacun soient identifiées. Une rencontre inédite jusqu’alors, mais nécessaire étant donné le retard du bâtiment dans la transition écologique.

Article réalisé en partenariat avec la Fondation Heinrich Böll