Taxe carbone aux frontières : les entreprises en embuscade
Invoquant de multiples risques liés à l’application de cette nouvelle mesure, nombre de secteurs d’activité font valoir la nécessité de maintenir les quotas gratuits en Europe.
Paris et Berlin sensibilisent sur ce sujet, la Commission Européenne planche activement sur sa proposition législative et le Parlement a voté en sa faveur. Mais le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières suscite des débats de plus en plus vifs chez les industriels.
Premier à prendre ouvertement position, dans l’industrie, le secteur de l’aluminium européen – très concurrencé par la Chine – a d’ores et déjà jeté un pavé dans la marre, se déclarant opposé au nouvel outil en préparation. Représentée pour l’essentiel par European Aluminium Europe, la filière s’inquiète de voir ses chaînes de valeur perturbées par ce mécanisme. Elle craint également qu’il n’encourage les délocalisations des producteurs en aval vers des pays aux législations moins exigeantes. Et ce, sans inciter à leur décarbonation. « Nous ne voyons réellement pas comment un tel mécanisme peut nous protéger contre les fuites de carbone » , insiste Emanuele Manigrassi, spécialiste des questions climatiques auprès de European Aluminium. Sachant que le continent est importateur net d’aluminium.
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Des quotas gratuits ou…le chaos
Au-delà de cette annonce tranchée, les mises en garde se multiplient en amont des annonces de la Commission Européenne. « Pour l’heure, nous n’avons pas encore pris position. Nous ne sommes ni pour, ni contre cette mesure car nous n’avons pas assez d’informations », souligne Jasmin Ploner, en charge du dossier chez BusinessEurope. Mais d’ores et déjà, l’association patronale invoque ses deux priorités quant à la mise en place de ce futur mécanisme. Primo, qu’il soit compatible avec les règles du commerce international afin d’éviter toute représaille sur l’industrie européenne. Secundo, qu’il maintienne en parallèle les quotas d’émission à titre gratuit, du moins pendant une période de transition.
« Compte tenu des grandes incertitudes sur la façon dont le mécanisme peut fonctionner dans un premier temps, la plupart des secteurs sont réticents à l’idée de supprimer ces quotas », ajoute cette spécialiste. « Selon le type d’activité, les entreprises ne seront pas touchées de la même façon par ce nouveau mécanisme. Ce dernier peut engendrer d’énormes effets de distorsion. Nous attendons donc de savoir si la Commission saura bien prendre en compte les spécificités de chacun ».
Doutes sur la faisabilité
Certains acteurs évoquent en effet le scepticisme qui émane des cercles d’affaires face à la mise en oeuvre concrète de cette réforme. « Nombre d’acteurs se sentent un peu perdus. Plus on avance et plus on prend conscience de la complexité du mécanisme, qui de surcroît risque de ne pas être efficace, estime ainsi Hervé Jouanjean, vice-président du centre de réflexion Confrontations Europe. « En entrant dans le détail, on se rend compte qu’au-delà des produits bruts, certains produits semi-finis ou matériels fabriqués à partir de pièces détachées échapperont au mécanisme. Ce qui ne fait que déplacer le problème ».
De surcroît, selon cet ancien directeur général à la Commission, « ces mesures seront limitées à certains secteurs et devront être complétées par d’autres méthodes de surveillance de marché comme de l’étiquetage et de la traçabilité des produits, afin de garantir des conditions de concurrence identiques ». A son sens, dans les circonstances actuelles, il est donc essentiel d’engager un dialogue approfondi avec l’administration Biden pour trouver des solutions plurilatérales « au risque, sinon, de nous retrouver seuls avec des mesures de rétorsion de la part de certains comme des taxes sur nos produits ».
Réponse de la Commission Européenne
Pour endiguer ce début de levée de boucliers, la Commission européenne n’a pas manqué de réagir le 24 mars dans la foulée des annonces du secteur de l’aluminium. L’un de ses porte-parole a ainsi fait valoir que l’institution était en train d’intégrer les commentaires d’une consultation publique sur le mécanisme d’ajustement carbone, réalisée entre juillet et octobre 2020. Une enquête qui vise à évaluer l’impact économique, social et environnemental des différentes conceptions à l’étude. « Alors que l’UE relève son niveau d’ambition climatique, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières veillera à ce que le prix des importations reflète plus précisément le niveau des émissions de CO2 intégrées dans ces produits pour certains secteurs », a fait savoir la Commission. Qui, à n’en pas douter, n’en sera pas moins attendue au tournant.
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Article réalisé en partenariat avec la Fondation Heinrich Böll