Transport routier, construction : l’UE peine à étendre son marché du carbone
Le transport routier pourrait être soumis aux quotas de Co2
Les conservateurs allemands militent pour l’inclusion des transports routiers et de la construction au marché du CO2. Une option jugée socialement risquée.
Après les objectifs, les moyens. Alors que se dessine l’architecture de la future politique climatique de l’Europe, les débats sont désormais plus que vifs au sein de l’UE sur la façon de partager les efforts. Et le chemin à suivre pour abaisser de 55% les émissions de CO2 d’ici 2030. Faudra-t-il, pour ce faire, intensifier les objectifs nationaux? Ou se reposer plus encore sur le marché carbone ? De ces deux leviers, certains états ont déjà clairement choisi de privilégier le second. Comme le Danemark par exemple, qui peine sur la question agricole dans ses objectifs nationaux. A l’instar des conservateurs allemands, et de la présidente Ursula Von der Leyen, ce pays plaide pour que soient inclus le transport routier et l’ensemble de la construction au sein du marché carbone. Deux secteurs qui se rangent encore aux côtés de l’agriculture et de la gestion des déchets dans les objectifs nationaux.
Le spectre des Gilets Jaunes
Évoquée les 24 et 25 mai, lors des conseils des chefs d’Etat et de gouvernement, cette option continue cependant de diviser. « Au début des débats sur la mise en oeuvre des -55% , la Commission Européenne plaidait pour une suppression des objectifs nationaux », rappelle Neil Makaroff, responsable Europe du réseau Action Climat. « Mais face à la levée de boucliers des Etats et des ONG, elle semble avoir renoncé à cette idée, même si elle tient toujours bon sur celle de garder ce marché carbone étendu en complément». Force est de constater qu’à l’Est comme au Sud, les Etats membres sont, pour des raisons sociales, très opposés à cette idée. La France également. D’autant que la crise des Gilets jaunes est passée par là. Et qu’elle a montré que sans compensation financière, ce type de marché risquait de faire peser la transition écologique sur les particuliers les plus modestes. Sans redistribution, l’UE s’exposerait à un renchérissement du prix de l’essence et du chauffage. Et donc à une potentielle crise sociale.
Lire aussi : L’Europe se repose sur ses puits de carbone pour faire baisser ses émissions
Les Grünen pointent les risques sociaux
Certes, l’Allemagne peut mettre en avant le fait qu’elle même a créé un marché de ce type. En janvier dernier, Berlin a lancé un mécanisme étendu au transport routier et à la construction. Mais ce projet, s’il a été soutenu localement par les Grünen, risque, selon ces mêmes écologistes, de ne pas être une bonne solution sur le plan social à l’échelon européen. Contrairement à ce qui pourrait se passer dans l’UE, le marché allemand fonctionne avec un cours plancher. Ce qui permet d’encadrer davantage les prix pour compenser si nécessaire les dépenses des ménages modestes. De surcroît, selon les Grünen, son impact pourrait être « trop faible » pour être réellement efficace au plan européen. C’est également le point de vue de l’organisation européenne de consommateurs BEUC. « En raison du coût des investissements que cela suppose, la hausse des prix n’incitera pas forcément les consommateurs à changer leurs comportements tout de suite », insiste Dimitri Vergne, responsable du dossier au sein de cette association. « Ils risquent de ne pas avoir les moyens d’investir rapidement dans une voiture électrique ou de pouvoir troquer très vite leur chaudière à mazout pour une pompe à chaleur ». Sans compter que l’UE n’a jamais expérimenté de mécanismes de compensation sociale en parallèle du marché carbone, comme cela a été le cas en Suède ou dans la province canadienne de la Colombie-Britannique.
Lire aussi : L’intégration du chauffage au marché du carbone divise
Moins efficace que les législations sectorielles ?
Autre contestation, le marché carbone pourrait faire le jeu de certains lobbys industriels, qui échapperaient ainsi en partie aux législations sectorielles contraignantes. « Ce débat risque de nous détourner de décisions politiques qui ont pourtant fait leurs preuves », craint Dimitri Vergne, se référant notamment aux normes CO2 des voitures individuelles. « Ces mesures ont clairement permis de voir la part de marché de la voiture électrique augmenter. Les constructeurs eux-mêmes le reconnaissent ».
Face à tous ces arguments, l’exécutif européen fera-t-il figurer cette proposition dans son paquet législatif le 14 juillet prochain ? « La Commission est certes isolée sur le sujet, mais elle peut très bien, face à la grande division des Etats Membres, et par le jeu politique des contreparties, finir par imposer ce marché, analyse Neil Makaroff. Par exemple en poussant plus de financements à la Pologne.» Rien n’est à exclure. Selon le contexte, elle pourrait également tout aussi bien attendre que les consommateurs aient à leur disposition plus d’alternatives vertes pour se chauffer ou bouger avant de lancer ce marché.
Article réalisé en partenariat avec la Fondation Heinrich Böll