En Allemagne, la Cour constitutionnelle force l’Etat à revoir ses objectifs climat
Les juges allemands ont enjoint le gouvernement d’Angela Merkel d’amender sa loi climat.
L’objectif de -55 % pour 2030 est trop faible, et remet en cause les libertés des requérants, selon la Cour. Une décision historique qui pourrait avoir des conséquences en France, où se prépare une réforme constitutionnelle.
« Nous sommes satisfaits et soulagés de la décision du Tribunal. Une protection climatique efficace doit être mise en œuvre maintenant et non pas dans 10 ans. » En Allemagne, les messages de jeunes militants, comme celui de Sophie Backsen, fille d’agriculteurs de 22 ans à l’origine de la plainte, ont été nombreux à affluer ces derniers jours. Soutenus par des associations, telles que Friends of the Earth Germany et Fridays for Future, ces plaignants ont finalement obtenu gain de cause auprès de la Cour Constitutionnelle.
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Les juges ont en effet enjoint le 29 avril dernier le gouvernement d’Angela Merkel d’amender sa loi climat, estimant les objectifs insuffisants et non conformes aux droits fondamentaux. « Les dispositions contestées portent atteinte aux libertés des requérants, dont certains sont encore très jeunes. Elles repoussent irréversiblement à la période postérieure à 2030 des charges considérables en matière de réduction d’émissions », ont indiqué les juges de Karlsruhe. Ces derniers ont donné aux dirigeants jusqu’à décembre 2022 pour revoir leur copie, en réduisant davantage les objectifs d’émissions de CO2 après 2030.
Repenser la liberté de la jeunesse
Une mise en demeure qui ne peut que donner des ailes aux écologistes. Leur candidate, Annalena Baerbock, caracole pour l’heure en tête des sondages des prochaines élections législatives de septembre.
« Cette décision est historique surtout dans la façon de repenser la liberté des générations futures», souligne l’eurodéputé écologiste allemand Michael Bloss. « Sur la base du budget carbone qu’il nous reste, les juges ont estimé que la part allouée après 2030 sera si infime que les jeunes ne seront pas en mesure de vivre aussi librement que nous le faisons aujourd’hui. C’est aussi un enjeu de répartition du fardeau entre les différentes générations», ajoute ce membre de l’Alliance 90/Les Verts.
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Pour l’heure, la loi climat allemande en vigueur prévoit que ces émissions diminuent de 55% au minimum par rapport aux niveaux de 1990 d’ici 2030 et qu’elles soient quasiment nulles d’ici 2050. Mais plusieurs ministres actuels se sont d’ores et déjà dits prêts à revoir ces objectifs au plus vite, vraisemblablement avant la tenue des législatives. Iront-ils cependant aussi loin que les écologistes sont prêts à le faire ? « A notre sens, il faudrait réduire de 70% nos émissions d’ici à 2030 », insiste Michael Bloss, et pour ce faire, déjà sortir du charbon dès 2030 et non en 2037 comme le prévoit actuellement la loi ».
Réforme constitutionnelle en France
Quoi qu’il en soit, de nombreux experts estiment que cette décision ne devrait pas rester sans conséquences. « Le fait qu’une Cour constitutionnelle européenne se prononce sur ces questions est important au plus haut point », relève Marta Torre-Schaub, directrice de recherche au CNRS et membre du réseau Droit et Changement Climatique. « Il faut s’attendre, selon elle, à ce que cette décision influe sur les objectifs de l’Allemagne, mais aussi sur des décisions climatiques dans d’autres pays européens ».
Notamment dans l’Hexagone, où un projet de loi visant à inscrire le climat et la biodiversité dans la Constitution est en discussion au Sénat. « En France, cette décision pourrait favoriser l’accord sur l’inscription du climat dans la Constitution, ajoute-elle, mais aussi accélérer la mobilisation des ONG à partir de la Charte de l’environnement qui rappelle les devoirs de l’Etat d’assurer un environnement sain. »
Qu’en sera-t-il au niveau européen ? A l’époque où furent déposées ces plaintes en Allemagne, de jeunes Portugais avaient pour leur part saisi la Cour de justice de l’Union Européenne sur ces questions, mettant en avant plusieurs droits fondamentaux. Mais leur recours avait été rejeté. Galvanisés par la décision allemande, les écologistes ne s’avouent pas vaincus. « Nous prenons actuellement contact avec des juristes afin d’étudier la possibilité de mener ce type d’action auprès de la Cour de Justice européenne en vue d’agir sur les objectifs de l’UE », ajoute Michael Bloss. On compte également en ce moment deux recours sur ces enjeux devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), mettant en avant la violation des droits de l’homme, le droit à la liberté, à la vie privée et à la vie familiale. Les juges n’ont donc pas fini d’être mobilisés dans les mois et les années qui viennent.
Article réalisé en partenariat avec la Fondation Heinrich Böll