L’envol de l’idée de taxe carbone aux frontières en Europe

Face au défi climatique et à la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre, l’industrie européenne envisage sérieusement l’instauration d’une taxe carbone aux frontières. Ce mécanisme d’ajustement carbone, encore en discussion, pourrait avoir des implications majeures pour l’économie et les relations commerciales du continent.

Le contexte : urgence climatique et concurrence internationale

L’Accord de Paris sur le climat, signé en 2015, a défini un objectif global de limitation du réchauffement climatique à +1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels. Cela implique des efforts sans précédent pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre et pour le développement des énergies renouvelables.

Toutefois, certains pays sont plus avancés que d’autres dans cette transition écologique. L’Europe, en particulier, cherche à montrer l’exemple avec son « Green Deal » (pacte vert) et ses objectifs ambitieux de neutralité climatique d’ici 2050. Mais cette position de leader engendre également des inquiétudes quant à la compétitivité de l’industrie européenne vis-à-vis de concurrents étrangers moins soucieux de l’environnement.

Des entreprises confrontées à une « fuite de carbone »

En effet, face à une concurrence internationale exacerbée, les entreprises européennes sont confrontées à un phénomène de « fuite de carbone ». Elles doivent s’adapter aux régulations environnementales plus strictes en investissant dans des technologies plus propres et en payant des taxes sur leurs émissions. Or, cela peut engendrer un coût supplémentaire pour elles par rapport à des concurrents qui ne sont pas soumis aux mêmes contraintes.

C’est dans ce contexte que l’idée de taxe carbone aux frontières est apparue comme une solution potentiellement efficace pour protéger les efforts de l’industrie européenne tout en incitant les autres pays à suivre le mouvement en matière climatique.

Le principe : ajuster le prix d’importation en fonction des émissions de CO2

Le mécanisme d’ajustement carbone (MAC) vise à imposer une taxe sur les importations de certains produits énergivores et polluants, en fonction de leur contenu en carbone. L’objectif étant d’éviter que les entreprises européennes soient pénalisées par rapport à celles qui n’ont pas à se conformer aux standards environnementaux nationaux ou régionaux très contraignants.

Concrètement, cela signifie qu’un produit importé serait soumis à une taxe compensatoire si le pays exportateur applique une régulation carbone moins rigoureuse que celle de l’Union européenne. Un tarif serait alors calculé en fonction de la différence entre les deux niveaux de régulation.

Un système complexe à mettre en œuvre

Cependant, l’instauration d’une telle taxe nécessiterait une évaluation précise et transparente du contenu en carbone des produits importés. Cela pourrait s’avérer particulièrement complexe pour les biens manufacturés qui sont souvent composés de plusieurs matériaux et dont la production implique diverses étapes de transformation.

De plus, le mécanisme devrait être compatible avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), notamment en termes de non-discrimination entre les pays membres et de justification environnementale.

Les enjeux : soutenir la compétitivité européenne et inciter à l’action climatique

Au-delà de protéger l’industrie européenne, la taxe carbone aux frontières serait également un moyen d’encourager les entreprises et les pays tiers à réduire leurs propres émissions. Un signal fort à destination des nations qui tardent à agir sérieusement contre le changement climatique.

En effet, en rendant plus coûteux sur le marché européen les produits à fort contenu en carbone, les exportateurs auraient tout intérêt à améliorer leur performance environnementale pour rester compétitifs. Cette pression pourrait ainsi favoriser une diffusion des bonnes pratiques et une convergence vers des standards plus exigeants à l’échelle mondiale.

Des questions encore en suspens

Toutefois, plusieurs interrogations subsistent quant à l’efficacité réelle de ce dispositif pour atteindre ses objectifs clés. Par exemple :

  • Quels secteurs spécifiques seraient concernés par la taxe ?
  • Comment mesurer avec précision le contenu en carbone des biens importés et assurer une équité de traitement entre les différents pays ?
  • Quelles modalités de coopération internationale sont indispensables pour éviter d’éventuelles rétorsions commerciales ?

La Commission européenne a lancé en 2021 une consultation publique sur ce sujet afin de recueillir les avis et suggestions des parties prenantes. Les premières propositions législatives sont attendues pour 2023. Le débat sur la taxe carbone aux frontières promet donc d’être animé au cours des prochaines années, à mesure que les enjeux climatiques et économiques du continent s’entrecroiseront avec une intensité croissante.