L’UE veut vraiment verdir sa politique commerciale
Le commissaire letton Valdis Dombrovskis a présenté la nouvelle approche européenne en matière d'accords commerciaux le 24 février. Photo CE
Certaines ONG et eurodéputés regrettent que les accords en cours de négociation ne soient pas inclus dans cette nouvelle stratégie plus respectueuse de l’accord de Paris sur le climat.
Déforestation, délocalisations, importations carbonées…Alors que la lutte contre le changement climatique s’accélère en Europe, l’UE – première puissance commerciale au monde – ne pouvait pas omettre d’ajuster sa politique commerciale aux ambitions de son Pacte Vert. Dévoilée mercredi 24 février, par le vice-président de la Commission, Valdis Dombrovskis, la nouvelle stratégie implique que les futurs accords commerciaux de l’UE soient désormais soumis au respect de l’accord de Paris de 2015. Face aux défis de l’après-pandémie, « la politique commerciale doit soutenir pleinement les transformations écologiques et numériques de notre économie », a insisté Valdis Dombrovskis, qui s’est également dit prêt à peser pour que soit menée une véritable réforme de l’OMC (Organisation mondiale du commerce).
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Absence de mesures structurantes
A peine dévoilée, la stratégie a néanmoins fait l’objet de demandes de précisions, tant de la part d’eurodéputés que de certains membres d’associations la jugeant trop floue. « Cette politique est très imprécise, elle met en avant beaucoup de déclarations mais, dans les faits, elle contient peu de mesures structurantes», critique Samuel Leré, responsable du plaidoyer à la Fondation Nicolas Hulot . Il regrette ainsi que la question des sanctions ne soit pas abordée. « L’ accord de Paris est essentiel au sein du « Green deal » mais que signifie le fait de le respecter ? Suffit-il simplement de le signer et de le ratifier ? Dans ce cas, même le Brésil le respecte. Ou de vraies obligations lui sont-elles liées, comme celles pour chaque Etat membre de respecter ses engagements de réduction de gaz à effet de serre ? », s’interroge-t-il.
Proposition législative sur la déforestation
Ces interrogations peuvent sembler légitimes, même si, selon Elvire Fabry, chercheuse à l’institut Jacques Delors, « le rôle de cette révision de la politique commerciale est avant tout de fixer des objectifs qui annoncent le recours à des instruments supplémentaires ». Il restera à définir, ajoute-t-elle, « les modalités de ces initiatives, qui relèvent aussi d’un travail législatif » comme la proposition, annoncée pour cette année, destinée à lutter contre la déforestation. Cette initiative s’intègrera dans la politique de « due diligence » qui sera appliquée aux entreprises afin de leur interdire d’importer des produits fabriqués sans respecter les normes environnementales européennes, et portant atteinte aux forêts. Dans son ensemble, selon cette experte, « cette nouvelle stratégie commerciale met en avant tout l’arsenal de mesures que l’UE peut utiliser pour peser sur ses partenaires et faire avancer le Pacte vert, que ce soit au plan bilatéral ou multilatéral ».
Accords en cours non concernés
Autre grand reproche adressé à cette politique commerciale : elle ne remettrait guère en question les accords commerciaux en cours de négociation, qui concernent pourtant de nombreux pays dont la Chine, l’Indonésie, l’Australie, la Nouvelle-Zélande ou le Mexique. Ou, plus controversé encore, le Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay). Or, la ratification de cet accord de libre-échange par l’UE avec ces pays d’Amérique du sud fait déjà l’objet de réticences de la part de certains Etats membres – comme la Belgique et l’Autriche ou l’Irlande par exemple – en raison notamment de son impact sur l’agriculture mais aussi sur la déforestation.
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La controverse autour de l’accord UE-Mercosur
A l’aune de ces évolutions politiques, quel sera l’avenir de ce texte toujours en attente de ratification? « En l’état actuel, la ratification de cet accord UE-Mercosur ne passera pas, étant donné l’opposition de plusieurs pays », estime Elvire Fabry, qui, bien qu’assez opposée à la réouverture des accords commerciaux signés, juge que « l’accord UE-Mercosur aurait néanmoins besoin de s’appuyer sur une déclaration politique supplémentaire, avec un engagement clair de la part du gouvernement brésilien de Bolsonaro contre la déforestation ».
Certaines ONG redoutent cependant un autre scénario. « Nous craignons que sur ce dossier, la Commission européenne ne finisse par passer en force – soit par l’ajout d’une déclaration interprétative, soit par une division de l’accord, en mettant à part sa partie commerciale, qui en représente près de 99% – et qu’il ne soit voté à la majorité qualifiée, sans validation des Etats membres », détaille Samuel Leré. Alors que, pour l’heure, il doit l’être à l’unanimité. L’occasion pour lui de rappeler que la nouvelle politique commerciale a été décidée à huis clos et qu’elle ne peut faire l’objet d’amendements. « Cela pose une question sur la démocratie », conclut-il, alors que des eurodéputés appellent à la renégociation de certains accords.
Article réalisé en partenariat avec la Fondation Heinrich Böll